COMMISSARIAT


BOYCORE MONDE : CEUX QUI SONT RESTÉS

UNE PROPOSITION DE Samuel Marin Belfond
COMMISSARIAT SCIENTIFIQUE Samy Lagrange

AVEC Morgane Baffier, Corentin Darré, Ellis Laurens, otto+gata, Mawena Yehouessi

ET L’ÉQUIPE DU CENTRE D’ART
Direction : Aude Cartier 
Chargée de production : Clara Zaragoza / Léa Djurado
Chargée des publics : Julie Esmaeelipour
Chargée de communication : Juliette Giovanonni
Régie : Malo Legrand, Bojan

centre d’art contemporain de Malakoff, site maison des arts
105, avenue du 12 février 1934
du 21 septembre au 14 décembre 2024

“Boycore Monde a été présenté à l’automne-hiver 2024 à la maison des arts de Malakoff, avec un commissariat de Samuel Marin Belfond, conseillé scientifiquement par l’historien de l’art Samy Lagrange. Il s’agissait d’une exposition collective qui regroupait les artistes Morgane Baffier, Corentin Darré, Ellis Laurens, otto+gata, Mawena Yehouessi.

Projeté dans le futur, en 2039, l’espace du centr d’art est devenu les reliques d’un laboratoire où se serait élaboré un événement quasi-apocalyptique qui a eu lieu 5 ans plus tôt, en 2034. Il s’agit de « l’estivage », c’est à dire la disparition volontaire de toute une partie des personnes minorisées vers un autre espace-temps, laissant derrière elleux les systèmes de domination de notre réalité et celleux qui y participent.

Les œuvres de Boycore Monde témoignent donc à la fois du processus qui a amené à l’estivage, des traces de l’évènement lui-même, et des conséquences sur la société de « ceux qui sont restés ». L’espace d’exposition est donc rempli d’« archives » fictionnelles conçues par Corentin Darré, principalement des affiches et prospectus annonçant l’estivage, ainsi que des classeurs de lettres laissées par les personnes parties, à leurs proches qui sont resté·es. On y trouve aussi une vidéo conçue par le commissaire Samuel Marin Belfond qui montre un combinaison de statistiques ainsi que de faits sur ce monde « qui reste », » et des extraits de posts TikTok ou Instagram masculinistes de notre présent, mais présentés comme datant de cette période. Selon les commissaires, toutes ces traces ont pour objectif de montrer « la manière dont les fictions ont enfermé les masculinités contemporaines dans des scripts. En plus de ces objets et d’autres œuvres, l’espace est conçu par le duo d’artiste Otto+Gata selon une
scénographie immersive évoquant le postapocalyptique. Très loin du White Cube, les murs de l’étage de la maison des arts sont recouverts d’une fresque en forme de mindmap , conçue par l’artiste Ellis Laurens : ce schéma connecte théorie académique, stratégie militante et pop culture pour tenter de retracer la manière dont les récits hétéropatriarcaux et les résistances qu leurs sont opposées se connectent au sein d’un diagramme tentaculaire de pensée et d’affect. Ces lieux ainsi conçus ont accueilli à la fois des performances et des événements publics dans un espace pérenne du centre d’art, appelé l’agora.

Cette exposition s’inscrit dans un lieu et un programme particulier : la maison des arts de malakoff a mis en place en 2024 un cycle pluriannuel intitulé « centre d’art nourricier » destiné à imaginer la place d’un centre d’art dans la conception de futurs émancipés ; l’agora fait partie de cette initiative. Le fait que ce projet soit la deuxième invitation de ce cycle n’est pas anodin : il s’agit de la première exposition en tant que curateur de Samuel Marin Belfond, un critique d’art qui de son propre aveu est normalement rétif aux collaborations institutionnelles, et il choisit d’en faire un projet composé quasi exclusivement de personnes
queers, traitant de la manière dont les cadres discursifs du genre et les lignes temporelles peuvent être subverties pour ouvrir d’autres champs spéculatifs politiques et poétiques. Ainsi, ce choix de programmation semble significatif, et souligne la connexion possible entre théorie queer et critique des institutions.

Dans Boycore Monde, cette connexion apparait lorsqu’un groupe de créateur·ices participe à un processus de « désidentification artistique », ici moins au sens de Carla Lonzi que selon la pensée de José Esteban Muñoz. Pour lui, la désidentification est une stratégie esthétique, une manière de reconfigurer les imaginaires dominants, sans les délaisser, pour pouvoir mieux les subvertir, un procédé de torsion profondément queer.
L’objectif de la désidentification est une survie au temps présent, mais également l’invention d’autres futurs : Muñoz, dans son ouvrage Cruiser l’Utopie, propose qu’une manière de résister aux exclusions systémiques qui découlent d’une écriture téléologique de l’histoire serait de pratiquer une pensée radicalement utopiste selon des imaginaires queers, une forme d’hétérochronie pour reprendre le terme de Renate Lorenz. Cette logique de « cruiser l’utopie »
se retrouve à différents niveaux dans Boycore Monde : dans le récit fictionnel même, avec la fuite de l’estivage vers une autre réalité, et dans le processus de conception de l’exposition, qui repose sur l’imagination d’une temporalité de Science-Fiction imaginaire. Dans ce cadre, la production d’archives matérielles et numériques sont autant de témoignages qui font de l’espace d’exposition un terrain de jeu temporel et dessinent ce que Muñoz appelait une « cartographie
des relations sociales futures ».

Renate Lorenz affirme, elle aussi, la capacité de l’exposition à « rendre momentanément réels des manières d’être ensemble qui n’existent pas encore ». (...) Dans Boycore Monde, l’estivage semble être une nouvelle itération de cette mise à mort du patriarcat et de autres systèmes d’oppression. Là où les spectateur·ices de la vidéo observent les performeureuses invité·es par Boudry et Lorenz qui se retrouvent à harmoniser au sein de l’œuvre dans un processus d’attention mutuelle, les visiteur·euses de Boycore Monde son convié·es à consulter une bibliothèque d’essais politiques et de livres de SF, à lire les documents d’archives intimes laissés par les participant·es à l’estivage, et à éprouver dans l’espace les vestiges d’un monde encore à venir. Les objets et textes participent de la création de ce que les artistes et les commissaires appellent un « lore » - un terme qui désigne l’ensemble des personnages et récits qui constituent un monde imaginaire – défini lors de sessions de travail
collectives en amont de l’exposition. Le rôle de ces objets et iconographies est donc d’assister à la projection des visiteur·euses dans un autre espace-temps, et de les accompagner dans une réflexion critique sur les mécanismes actuels de construction des dominations, ainsi que dans l’imagination d’alternatives. En ce sens, ces archives remplissent le rôle de ce qu’Amelia Jones appelle des « documents performatifs » : il s’agit dans sa définition d’images ou de textes qui
sont à la fois témoins et agents de la construction d’une fiction autobiographique. Pour les archives, selon la chercheuse Zoé Adam, il s’agirait donc des documents qui opèrent dans cet espace trouble entre signifiant et signifié, en permettant la construction ou la reconstructio d’histoires réelles mais qui ne pourraient exister sans cette entorse à la vérité.

C’est dans ce sens que les archives imaginaires de Boycore Monde représentent des désidentifications : elles « transgressent l’ici et le maintenant » afin de créer un espace pour générer une expérience esthétique stratégique chronopolitique. Dans cette double description d’un ailleurs possible, et des récits masculinistes contemporains réels (à travers notamment toute une réflexion sur le rôle d’internet et des réseaux sociaux dans l’élaboration de ces récits), elles opèrent « de façon tactique et simultanément travaillent, sur, avec, contre une forme
culturelle » , pour reprendre les mots de José Esteban Muñoz. Ces « documents performatifs » contrecarrent la « non-performativité » dénoncée par Sara Ahmed dans les institutions : au lieu de créer des récits qui, en affichant un objectif militant, servent en réalité à empêcher le changement concret des usages, les archives de Boycore Monde, en affirmant leur nature fictive et anachronique, permettent d’organiser de véritables réseaux de rencontres et de discussions
qui ouvrent à une modification des imaginaires profondément politique. Selon Renate Lorenz, cette démarche même, faite de détours, d’interrogations, de décalage voire de confusion, est, en soi, intrinsèquement queer : elle permet d’éviter les identifications trop directes à des catégories préconçues de réalité, de genre ou de chronologie, et permettent un espace de liberté pou élaborer des positions artistiques critiques.”

- « Queering the artist : exposer ou imaginer l’archive, une position critique. »
Ariane Fleury, ENSA Bourges, 14 mai 2025
Dans le cadre de « Queering the Archive – Queering the exhibition »

site de la maison des arts de malakoff 

Une production de la maison des arts - centre d’art contemporain de malakoff


© Zoé Chauvet


© Zoé Chauvet


© Zoé Chauvet


© Zoé Chauvet